Iconoclastes !

IconoclImaginez une société sans images, ou plutôt sans images représentant un humain. Par image j’entends aussi bien une photographie qu’une image au sens strict. Fini les musées avec les peintures des grand maîtres, fini les photographies de vos ancêtres, terminé les expositions de Doisneau, Depardon, Man Ray, etc. exit les publications montrant les grands sportifs (et les moins grands) en plein effort. Le 20 heures ressemblerai aux actualités radiophoniques et l’essentiel des programmes se limiterait aux aux reportages naturalistes. Les journaux et les revues ne seraient plus que des feuillets recouverts de caractères d’imprimerie ( Ceci n’enlèverai rien au talent de leurs rédacteurs. Remarquez comme je prends mes précautions, on ne sait jamais… 🙂 )

Le droit à l’image (le droit de toute personne physique à disposer de son image) est parfois, et de plus en plus, interprété de manière rigoriste par certaines personnes se trouvant involontairement dans le champ d’une prise de vue. A ce propos je n’ai pu m’empêcher d’avoir
un sourire amer à la lecture d’un article de M.Pierre Grave paru dans la revue Réponses Photo. Son témoignage est sans appel :  nous vivons dans une société de plus en plus schizophrène ! Avec l’autorisation de l’auteur, je me permet de reproduire son témoignage ici :

Parmi les évolutions regrettables de notre société moderne, il en est une, au moins, qui concerne la photographie : l’abus du droit à l’image. Force est de constater qu’on n’a jamais fait autant de photos que de nos jours. Le numérique permet à tous de mitrailler sans frais, avec un compact ou un téléphone, et d’accumuler des centaines de clichés souvent sans intérêt documentaire ou artistique mais techniquement réussis. Chacun fait ainsi son autoportrait, le bras tendu, ou joue contre joue avec sa ou son partenaire et immortalise ses instants de vie ou ceux de ses proches. On les place ensuite sur Internet pour les partager avec ses nombreux amis réels ou virtuels qui, la plupart du temps, ne les regardent pas. De son côté, le photographe amateur passionné ou professionnel n’a jamais rencontré autant de difficulté qu’aujourd’hui pour fixer sur son capteur ou sa pellicule des lieux publics surtout si, par malheur, il se trouve que des inconnus soient positionnés dans le cadre de son viseur.
A titre d’exemple, je déambulais récemment dans les rues de Pontarlier, dans l’intention de fixer sur ma pellicule quelques vues hivernales de cette petite ville que j’affectionne particulièrement. Après avoir cadré dans le viseur de mon appareil une vue de la place Sant-Bénigne qui, finalement, ne me satisfaisait pas, je vis venir vers moi un jeune homme que je n’avais pas remarqué auparavant. Je constatait qu’il s’adressait à moi et, à son expression peu aimable, qu’il ne s’agissait pas d’une connaissance personnelle ou d’un amateur de photo argentique attiré par l’aspect désuet de mon appareil moyen-format. J’eus le droit, en effet, lorsqu’il fut près de moi, à un “vous m’avez pris en photo ?” sans préambule de politesse et avec un ton plutôt menaçant. Je lui répondais que non, je ne l’avais pas pris en photo, que je prenais simplement des vues de la ville mais ajoutai devant son insistance : “et si c’était le cas, ça vous gênerai ?”. Il me répondit par l’affirmative , lorgna sur mon appareil pour y vérifier mon dernier cliché sur un LCD qui bien sûr n’y existait pas puis partit en bougonnant aussi peu aimable qu’à son arrivée.

Cette anecdote récente s’ajoute malheureusement à d’autres expériences personnelles désagréables où des commerçants m’ont spécifié de manière agressive qu’il était interdit de photographier leur devanture (un de mes sujets de prédilection) ou d’enfants que l’on cachait sous un manteau dès qu’on voyait l’objectif de mon appareil. Je conçois que chacun soit vigilant quant à la publication non contrôlée de son image sur Internet ou tout autre support public mais il semble qu’on arrive aujourd’hui a une phobie collective injustifiée  limitant de manière abusive la créativité de nombreux photographes. Si cette allergie au photographe anonyme avait existé autrefois nous n’aurions pas pu, aujourd’hui, admirer les magnifiques photos de rues d’artistes comme Eugène Atget, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Brssaï, André Kertész, Joel Meyerowitz ou Vivian Maier et ce serai bien dommage ! Alors, compris, la prochaine fois que j’aurai envie de photographier la jolie place Sainte-Bégnine, je hurlerai à la ronde “dégagez la place, je veux faire une photo !”.

Pierre Grave

J’ai moi-même été confronté exactement aux mêmes situations que celles décrites.
Mon regard est critique sur notre société qui se gave d’images mais refuse d’y paraître.
Je suis plus acerbe que M. Grave : tout cela me semble trempé dans la plus parfaite hypocrisie. Il suffit de tester la logique du “donne les dirhams !” pour que tout de suite les esprits s’ouvrent… et les portefeuilles s’assèchent.
Comment un pays qui a vu naître d’aussi grands photographes peut-il devenir aussi iconoclaste !


Pour mémoire messieurs les censeurs : “Contrairement à une fausse idée répandue, ce n’est pas la prise de photo sur la voie publique qui est éventuellement condamnable, mais la diffusion ou la publication de photographies où une personne est aisément reconnaissable, sans préjudice du droit à l’information où l’autorisation n’est pas nécessaire. Tout photographe qui ne se contente que de prises de vues pour son seul usage personnel et privé ne viole pas la loi ni civile ni pénale. En ce sens, parmi d’autres jugements voir : Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 octobre 2011, pourvoi 11-80.266, Publié au bulletin. ” … la prise des photographies sans le consentement des personnes y figurant ayant été faite dans un lieu public, le délit prévu par l’article 226-1, 2° du Code Pénal n’est pas constitué

Wikipedia 22/9/2014 (pour une raison que je ne peut expliquer le texte ci-dessus n’est plus disponible sur le site Wikipedia)

Enfin un cas récent et élogieux : http://blog.droit-et-photographie.com/un-beau-rappel-de-la-liberte-de-photographier-sur-la-voie-publique/.
Prendre soin de lire les commentaires du Président du club Photo à qui cette mésaventure est arrivée… heureusement tout s’est bien terminé (pour le club).

Laisser un commentaire

error: Ce contenu est protégé !!