REBECCA / EUREKA

REBECCA / EUREKA

Il y a 76 ans le plus grand débarquement de l’histoire avait lieu sur les plages de Normandie. Sans vouloir réécrire ces pages, je vous propose de découvrir le moyen de radionavigation ayant permis de parachuter troupes et matériels aux bons endroits.

Albany et Boston furent les noms de codes des opérations menées respectivement par les parachutistes des 101e et 82e divisions aéroportées américaines dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 lors de l’opération Overlord, dont l’opération Neptune fut la phase d’assaut. Elles furent précédées par la mise en place des pathfinders et suivies par l’atterrissage des planeurs de ces mêmes divisions.

Six zones de saut appelées DZ (Drop Zone) ont été prévues. Chacune d’elles était identifiée par une lettre. Les DZ A, C et D, situées entre la route N13 et Utah Beach, étaient attribuées à la 101e Division ; les DZ O, N et T, situées à l’ouest de Sainte-Mère-Église, à la 82e.
Des éclaireurs, appelés pathfinders, étaient chargés d’aller les baliser afin de permettre le parachutage de masse (13 200 hommes et matériel) qui devait suivre. Pour chaque DZ, trois C-47 (appelés Dakotas par les Britanniques) étaient chargés de parachuter chacun une équipe (stick) de 18 pathfinders. Deux C-47 furent ajoutés pour le largage de pathfinders chargés de rejoindre et de baliser des LZ (Landing Zone) qui seront utilisées plus tard pour l’atterrissage des planeurs. Il va de soi que les équipages chargés de larguer les pathfinders furent sélectionnés parmi les plus expérimentés en navigation aérienne.

Une équipe de pathfinders comprenait une dizaine de spécialistes chargés du balisage tandis que les autres hommes étaient chargés de leur protection. Le balisage était réalisé à la fois avec des moyens visuels (lampes, la nuit ; panneaux et fumigènes, le jour) et des moyens radio-goniométriques. Les lampes utilisées étaient conçues pour être vues uniquement du ciel et n’étaient allumées qu’au dernier moment. Les moyens radio-goniométriques étaient  des émetteurs radio (AN/PPN-1A Beacon) plus connus sous le nom de balises EUREKA amenées, à raison de 2 par stick, par les pathfinders. Les avions leaders de formation furent, quant à eux, équipés d’un système REBECCA qui les guidèrent vers la balise qui leur était attribuée.

Le système se compose donc de deux éléments :

  • REBECCA : un interrogateur installé sur un avion indiquant au pilote la distance le séparant de la balise sol ainsi que son alignement sur cette dernière.
  • EUREKA : une balise sol légère, mise en oeuvre sur une aire de largage (DZ) et répondant à l’interrogateur REBECCA. Son poids et ses dimensions permettaient son parachutage avec des éclaireurs. Les PathFinders de la 101ème Airborne étaient chargés, entre autres, de cette mission le jour J. Ce dispositif a permis le parachutage de nombreuses troupes sur le sol de Normandie le jour du débarquement ainsi que le guidage de l’atterrissage des planeurs transportant les troupes d’assaut.

L’ensemble travaillait dans la bande de fréquences 170 à 243 MHz. L’interrogateur REBECCA envoyait des impulsions de 5 μs espacées de 3,33 ms (300 Hz). A la réception des impulsions d’interrogation la balise sol EUREKA répondait sur une fréquence différente. Du temps séparant l’envoi des interrogations et de la réception des réponses, REBECCA en déduisait la distance séparant l’aéronef de la balise sol et l’affichait sur un écran cathodique.
Les fréquences d’interrogation et de réponses étaient déterminées pour chaque mission et les équipements étaient pilotés par quartz.
Deux antennes placées de part et d’autre de l’aéronef et couplées à un récepteur permettaient, par comparaison des signaux reçus, l’élaboration dune information d’alignement.

BC-929A – AN/APN-2 REBECCA MK II A

La portée de l’ensemble avoisinait les 30 à 50 NM (env. 60 à 90 km) à 5000 ft.
Toute les 30 secondes les impulsions de réponses étaient rallongées au rythme d’un code morse pour faciliter l’identification de la balise. Accessoirement ce dispositif permettait de transmettre des messages courts en morse et à destination de l’opérateur manipulant l’interrogateur à bord de l’avion.
Les balises EUREKA étaient équipées d’un dispositif d’autodestruction (explosif) afin de ne pas dévoiler le principe à l’ennemi si elle venaient à être capturées.

Historique

Le développement de REBECCA / EUREKA est dû en grande partie à Robert Hanbury-Brown et John Pringle, lesquels travaillaient au Telecommunications Research Establishment (TRE)  situé à Worth Matravers vers les années 1941. À l’époque ils travaillaient sur un prototype de répondeur RADAR embarqué permettant d’indiquer directement les buts sur l’écran du navigateur.
Malgré le succès remporté lors de plusieurs démonstrations avec un prototype, la RAF ne fut pas intéressée par ce système.

Balise EUREKA RT-37 / PPN-2

C’est le SOE qui, après de nombreuses précautions, a finalement convoqué Hanbury-Brown pour lui expliquer son besoin de parachuter des matériels (armes, munitions, radios, etc.) derrière les lignes ennemies et d’informer les pilotes du lieu précis de largage (la DZ ou Drop Zone) par tous les temps.
Un cahier des charges a été sommairement exprimé :

  • Portée 50 NM (80 km) en terrain découvert, pouvant descendre à 5 NM si la balise était placée en forêt. Mais la balise aurait été principalement mise en oeuvre en terrain découvert.
  • Les aéronefs pouvaient naviguer jusqu’à un rayon d’environ 10 NM de la balise en utilisant leurs propres moyens de navigation (Le GEE n’était pas encore connu du SOE car protégé par le secret).

Le 11 février 1942 une démonstration similaire à celles réalisées en 1941 fut organisée. L’interrogateur REBECCA fut installé sur un Avro Ansons. La balise fut captée à 37 NM (60 km) et le parachutage eut lieu à moins de 200 m  de la cible. Une commande fut immédiatement passée.
Il fut décidé que chaque balise EUREKA devait être capable de répondre à 40 avions simultanément; le débarquement en Normandie était déjà dans les têtes.

Des pré-séries REBECCA II ont été produits par la Sté. Dynatron Radio, puis REBECCA II et EUREKA Elles ont ensuite été produites par la Sté Murphy Radio.
Lors de tests opérationnels l’EUREKA II s’est avéré trop lourd. La Sté A.C. Cossor a été choisie pour réaliser un ensemble version III; l’utilisation de tubes miniatures a permis de réduire poids et encombrement.

Lors du débarquement en Sicile les performances opérationnelles n’ont pas été à la hauteur des attentes malgré de très bonnes conditions. Cossor a de nouveau été choisi pour développer une nouvelle version plus petite et plus maniable.

Le secret fut gardé jusqu’aux premiers débarquements. Puis il a été utilisé pendant la suite de la guerre en Europe pour signaler aux avions les zones de largage du ravitaillement.

Principe

À la lecture des paragraphes suivants il faut bien comprendre que les semi-conducteurs et circuits intégrés n’existaient pas lors de la seconde guerre mondiale (le transistor fut breveté en 1948). Les seuls composants actifs disponibles étaient les tubes à vide, ce qui entrainait comme sujétion un mode d’alimentation nécessitant des hautes tensions (souvent entre 150 et 300 Vcc, voire plus). Les synoptiques présentés ci-dessous peuvent vous paraître simples, mais à l’époque ils découlaient des possibilité technologiques disponibles.

REBECCA

Synoptique de principe REBECCA

L’alimentation de l’ensemble

Les transistors et circuits intégrés n’ayant pas encore été inventés, la totalité des équipements de l’époque étaient réalisés avec des tubes à vide, et donc nécessitaient des hautes tensions.
Pour alimenter les tubes à vide, les hautes tensions étaient générées par un Dynamotor. L’énergie primaire était collectée sur le réseau de bord (généralement 24 – 28 Vcc). Les basses tensions étaient stabilisées par des dispositifs régulateurs à tubes.

L’émetteur

Un générateur d’impulsions commande un étage modulateur à la cadence de 300 impulsions / seconde.

Antenne et indicateur REBECCA

L’étage modulateur commande un émetteur de puissance, les impulsions VHF d’interrogation sont émises par une antenne omnidirectionnelle. La puissance de sortie était de 1kW crête dans la version Mk-8.

Le récepteur

Les aériens

Deux antennes Yagi étaient disposées de part et d’autre de la carlingue de l’avion, au niveau du poste de pilotage. Les deux faisceaux directifs pointaient de part et d’autre de l’axe de l’appareil et étaient divergents.
Ainsi, suivant l’orientation de l’avion, l’antenne la plus alignée sur la balise transpondeur captait un champ électrique plus important que l’autre antenne.
On conçoit aisément que l’information D/G était tirée à partir de la comparaison des champs reçus par chaque antenne.

Lobes de réception des antennes REBECCA
La réception

Un commutateur mécanique appliquait alternativement les signaux reçus par chaque antenne à l’étage de réception. Le commutateur était stabilisé et synchronisé à partir des impulsions d’interrogation. L’animation mécanique du dispositif était réalisée par un moteur, lui-même stabilisé (Les circulateurs n’avaient pas encore été suffisamment développés).

Affichage des réponses sur le CRT REBECCA

Le récepteur de type superhétérodyne démodulait donc les impulsions de réponses de la balise EUREKA  et leur l’amplitude dépendait de l’écart de champ reçu par chaque antenne.

Après traitement du signal les impulsions reçues par l’antenne droite de l’avion étaient appliquées aux plaques de déviation X d’un tube cathodique de telle manière que le pinceau d’électrons dévie à droite du centre de l’écran.
Les impulsions reçues par l’antenne gauche de l’avion étaient appliquées aux plaques de déviation X d’un tube cathodique de telle manière que le pinceau d’électrons dévie à gauche du centre de l’écran.
Ainsi le pilote devait orienter l’avion du côté de la trace la plus grande pour s’aligner sur la balise. L’égalité des traces D et G indiquait l’alignement correct.

L’indication de distance était réalisée par balayage vertical (plaques Y) du tube cathodique en synchronisme avec les impulsions d’interrogation. Ainsi plus la trace apparaissait vers le bas de l’écran, plus la distance séparant l’avion de la balise diminuait. Un réticule gradué en NM permettait une lecture directe de la distance par l’opérateur.
Les dernières balises REBECCA furent perfectionnées et reçurent un indicateur à aiguilles affichant directement la distance et l’information D/G.

Antenne REBECCA montée sur un C-47

Dans sa version Mk 8 les interrogateurs REBECCA disposaient de 7 fréquences d’interrogation et de 7 autres fréquences pour recevoir les réponses des balises EUREKA, ce qui permettait un nombre de combinaisons suffisantes pour éviter les méprises sur un théâtre d’opérations dense.

La réception de l’indicatif morse de la balise choisie se traduisait par un élargissement de la trace sur le CRT au rythme de l’indicatif morse. Par la suite, lors de l’évolution du système, des dispositifs audio permirent son écoute au casque.

Les réponses multiples

On imagine aisément que le jour J de nombreux interrogateurs recevaient des réponses de plusieurs balises EUREKA. Malgré la multiplicité des signaux, par effet stroboscopique, seule les réponses cohérentes avec les interrogations de chaque REBECCA apparaissaient fixes sur l’écran; comme ce fut le cas, plus tard, pour les réponses DME ou TACAN. Les autres réponses ne restaient pas stables, facilitant de fait leur élimination visuelle.

EUREKA

Synoptique de principe de la balise EUREKA

L’antenne

Balise PPN-1A avec son antenne Ground-Plane

L’antenne de la balise EUREKA était une simple Ground-Plane. Ce type d’aérien permettait une bonne portée vers les avions car ses lobes sont relevés. La portée au raz du sol était médiocre, ce qui rendait la radiolocalisation plus difficile. Le but recherché était déjà la furtivité.

Les balises n’étaient pas équipées de commutateur d’antenne. Emetteur et récepteurs étaient reliés directement à la prise antenne; un coaxial de longueur λ/4 reliait l’aérien à l’étage d’entrée du récepteur.

Le transpondeur

De type superréaction le récepteur possédait une large bande passante caractéristique de ce type de montage.

Après détection et mise en forme des impulsions d’interrogation émises par REBECCA, un monostable commandait l’émetteur de la balise. Les impulsions de réponses émises avaient une durée de 7 μs (1 seule impulsion en réponse faisait suite à la réception d’une interrogation). La puissance d’émission était de 8 W crête.

L’alimentation en énergie était réalisée par des petites batteries au Ni-Fe résistantes au froid, lesquelles donnaient à la balise une autonomie de 30 minutes, durée suffisante pour un parachutage. Par la suite avec l’évolution des balises la durée de fonctionnement de la balise a été portée à 1 h avec un seul avion en interrogation.

Tout comme pour REBECCA, les HT nécessaire aux tubes étaient élaborées par un vibreur.

PPN-2 Vue de l’intérieur

Une paire d’écouteurs permettaient d’entendre les impulsions de réponses, indiquant à l’opérateur qu’un avion interrogeait la balise et qu’il ne tarderait pas à survoler la DZ.

Périodiquement un dispositif modifiait la durée des impulsions de réponses selon le code morse attribué à la balise. Par la suite un bouton a été rajouté pour transmettre de courts messages.

Pour éviter que des balises capturées par l’ennemi soient utilisées par ce dernier pour tromper les avions alliés, une charge d’explosif était disposée dans la balise pour détruire les composants pouvant révéler les fréquences et le principe utilisés.


Références

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